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Suggestions de lecture et de films: L'Enfer à Brébeuf!

Gagnants des prix littéraires disponibles à la bibliothèque et suggestions de lecture

L’Index et l'enfer

L'Index Librorum Prohibitorum

Notre-Dame de Paris, les Lettres persanes et Madame Bovary. Pascal, Voltaire et Hume. Zola, Balzac et Stendhal...

Ces incontournables de la littérature et de la philosophie sont, de nos jours, lus, étudiés et analysés. Pourtant, pendant des siècles, ces auteurs et ces ouvrages ont été frappés d'un interdit : celui de l'Index. 


L'enfer... dans une bibliothèque?

Dans le monde des bibliothèques, "l'enfer" désigne la section où sont conservés les livres dont on veut restreindre l'accès, généralement parce qu'on juge qu'ils ne sont pas conformes à la morale, qu'ils pourraient choquer ou même influencer négativement des lecteurs.

Pourquoi ce mot? C'est une métonymie, puisque les livres "immoraux" y sont confinés.

Dans les bibliothèques des communautés catholiques, la majorité des ouvrages qui s'y trouvaient l'était en raison d'une interdiction venue du Vatican lui-même : l'Index Librorum Prohibitorum.

 

Qu'est-ce que l’Index Librorum Prohibitorum?

L’Index Librorum Prohibitorum (ou, en français, l’Index des livres interdits) est la liste des ouvrages proscrits par le Vatican parce qu’on juge qu’ils sont contraires à la morale ou à la doctrine catholique. "Créé dans le but d'empêcher la diffusion des écrits de la Réforme [protestante], l'Index évolue avec le temps, tout en conservant un double objectif : défendre l'Église catholique contre les attaques extérieures et protéger l'homogénéité de la foi et de la morale contre les dangers qui surgissent de l'intérieur" (Bujanda, 2006). L'Index a eu cours de la fin du XVIe siècle à… 1966! Il est possible de consulter la version de 1948 sur le site du cégep du Vieux Montréal.

Image illustrative de l’article Notre-Dame de Paris (roman)

 

Qui y figurait?

La liste est imposante! Jetez un coup d'oeil à vos plans de cours et vous trouverez certainement des noms qui y sont! 

En littérature, on retrouve, entre autres, Voltaire, Stendhal, Maeterlinck, Balzac, Zola, Beauvoir, Dumas (père et fils), Maupassant, Sand, Sartre et Gide. En ce qui concerne Flaudert, Hugo, Daudet, Montesquieu, Rousseau, Diderot, La Fontaine et Lamartine, seules certaines de leurs œuvres ont été censurées. 

Du côté des philosophes, Montaigne, Pascal, Spinoza, Locke, Kant, Hume, Descartes, Bergson et Comte s'y retrouvent. 

 

L'histoire et le fonctionnement de l'Index

Qui décidait de ce qui allait figurer ou non à l’Index?

Cette responsabilité est prise en charge par la congrégation de l’Index, instituée par le concile de Trente à la fin du XVIe siècle. Des pères et des cardinaux sont chargés d’examiner les œuvres pour déterminer si elles doivent être ou non proscrites. Ces délibérations peuvent durer des mois, voire des années. Une fois l'aval du pape obtenu, les livres sont officiellement interdits par l'Église.

Pourquoi censurer?

Deux aspects intéressent les censeurs : si l'oeuvre présente un contenu immoral (« obscénité », « lascivité », comportements ou attitudes contraires aux enseignements de l’Église, etc.) ou un contenu jugé « impie » ou « hérétique », c'est-à-dire qui met en doute ou contredit les principes de la foi catholique.

Les livres censurés sont donc très différents les uns des autres : on retrouve tout autant des ouvrages théologiques ou philosophiques qui bousculent certaines croyances du catholicisme que des romans, de la poésie, du théâtre et même… un manuel pour nouveaux mariés :  Philosophie du mariage, histoire de l'homme et de la femme mariés dans leurs rapports physiques et moraux, études sur l'amour, le bonheur, la fidélité, les antipathies conjugales, jalousie, adultère, divorce, célibat civil et religieux.

Les membres de la congrégation de l'Index considèrent principalement l'influence qu'une oeuvre exerce (ou peut exercer) sur le public. L'objectif n'est donc pas "d'interdire tout ce qui [les] choque, mais de déterminer si l'ouvrage présente par lui-même un danger pour le lecteur" (Amadieu, 2016). Par conséquent, un ouvrage considéré comme immoral, mais très peu populaire, a peu de risque de se retrouver à l'Index.

Lors de l'examen par la congrégation de l'Index, l’interprétation des œuvres est, sur certains points, très détaillée (on consulte plusieurs sources, on étoffe les arguments de citations, etc.). Cependant, lorsque vient le temps d’interpréter le message d’une œuvre, les censeurs sont plutôt réducteurs : si un auteur présente un acte immoral (adultère, meurtre, etc.) sans clairement le dénoncer, c’est qu’il l’endosse. Et cela ne peut être toléré…

Accéder à l'enfer...

Impossible de lire un livre à l'Index avant 1966? 

Pas vraiment! Il faut se rappeler que l'Index n'est qu'une prescription de l'Église catholique et n'a pas de portée légale. D'ailleurs, son influence varie de pays en pays. Au Québec, par contre, l'Index a une forte influence. On peut cependant contourner ces interdictions grâce à des dérogations, qui peuvent même être accordées à des institutions ou à des groupes d'individus. Les institutions d'enseignement jouissent généralement de ce privilège. Voilà ce qui explique sans doute pourquoi la bibliothèque du Collège possédait, même à l'époque, plusieurs de ces ouvrages.

Du côté individuel, la "Congrégation [de l'Index] dispense certains lecteurs de l’obligation d’observer l’Index. Ceux à qui l’on a accordé une telle dérogation peuvent lire en sûreté de conscience tout ou partie des ouvrages mis à l’Index" (Amadieu, 2016). Toutefois, "la moralité du demandeur est alors prise en compte et évaluée" (Lafond, 2019). Plus encore, les jeunes et les femmes sont généralement considérés comme plus vulnérables aux effets des "ouvrages licencieux" (Amadieu, 2016).

L'Index et les auteurs

L'index et la science

Si la majorité des ouvrages qui se sont trouvés sur les listes sont généralement de nature littéraire, philosophique ou théologique, le contenu scientifique est, pendant la première moitié de la vie de l'Index, également évalué par les censeurs. Exemple célèbre, les travaux de Nicolas Copernic font leur entrée à l'Index en 1616 et ceux de Galilée en 1634, pour être ensuite retirés en 1822,  "l'héliocentrisme étant universellement admis" à cette époque (Bujanda, 2006). Il semble qu'après cet épisode, assez embarrassant pour l'Église catholique, la science ait été de moins en moins examinée.

À la lecture de la liste, on peut être surpris par le grand nombre d'auteurs français. Qu'est-ce qui peut expliquer cela? 

Pendant plusieurs siècles, la majorité des catholiques a surtout parlé le français, l’italien et l’espagnol. Puisque les auteurs de langue anglaise étaient surtout des protestants, leurs travaux se situaient donc généralement hors des considérations des censeurs. Toutefois, lorsque les œuvres gagnaient en popularité dans le monde catholique, elles étaient plus susceptibles de se retrouver en examen.

La raison pour laquelle relativement peu d’auteurs italiens et espagnols s’y retrouvent, alors que la majorité des « grands » auteurs français y sont, est encore mal définie.

Une piste de réponse pourrait être qu’en France, l’Index ne semble pas exercer une influence très importante après la Révolution. En effet, une maxime est même répétée dans certains cercles : Index non viget in Gallia, « l’Index n’a pas de vigueur en France » (Amadieu, 2016). Les artistes et intellectuels français se sentent peut-être donc plus libres de contrevenir aux dictats de l’Église dans leurs œuvres… En retour, ils se retrouvent peut-être donc plus souvent censurés. 

Les "maîtres de la littérature satanique"

Ne cherchez pas... Verlaine, Baudelaire et Rimbaud n'ont jamais figuré à l'Index! Pourquoi?  

D'abord, il faut savoir que, pour être évalués, les livres doivent faire l'objet d'une plainte formelle, faite par un religieux (Amadieu, 2018). Un groupe de censeurs se réunit alors pour débattre de la pertinence ou non de mettre cette oeuvre à l'Index. Ces débats, souvent consignés par écrit, ont été conservés dans les archives du Vatican et sont désormais accessibles aux chercheurs. 

De leur vivant, ces trois hommes ne semblent pas avoir fait l'objet d'une plainte. Cependant, entre 1917 et 1927, de nombreux auteurs sont mis à l'étude, surtout en raison de leur influence sur les écrivains du Renouveau catholique en littérature. Les censeurs se désolent de l'influence qu'exercent ces "maîtres de la littérature satanique" sur des écrivains comme Paul Claudel ou Paul Bourget, qui admirent les écrits de leurs prédécesseurs.

Après réflexion, les censeurs jugent qu'il serait un peu trop tardif d'interdire, plus de trente à cinquante ans après, les écrits de ces trois poètes. Il est aussi avancé que les procès qu'ont subis Baudelaire et Verlaine se sont chargés de mettre "le public honnête" en garde contre ces œuvres jugées immorales (Amadieu, 2018).

Et Mein Kampf?

Le livre d’Adolf Hitler est examiné pendant trois ans, mais n’a jamais été interdit, le Vatican ne voulant vraisemblablement pas affronter le chancelier d'Allemagne. Plus encore, l'historien allemand Hubert Wolf suggère que, selon la doctrine catholique de l'État, et donc pour le Saint-Siège, Hitler serait arrivé au pouvoir en toute légalité. En effet, la lettre de Saint Paul aux Romains, chapitre 13, dit que toute autorité étatique vient de Dieu et doit être respectée. 

Cependant, Le Mythe du vingtième siècle, de l'un des idéologues du parti nazi, Alfred Rosenberg, figure à l'Index à partir de 1934 (Heneghan, 2005).

L'Enfer de Brébeuf

L'influence de l'Index s'est fortement faite sentir au Québec, et Brébeuf n'y a pas échappé. 


Plusieurs livres de la bibliothèque du Collège portent encore les traces de leur passage en Enfer

Au total, à Brébeuf, ce sont près de 300 ouvrages de la collection qui présentent, encore aujourd'hui, les marques de l'Index.

Quelques exemples à Brébeuf

Les mentions "index" ou "enfer" se retrouvent encore sur la page de garde de plusieurs ouvrages à la bibliothèque.

Pour Victor Hugo, seules les œuvres Notre-Dame de Paris (en 1834) et Les Misérables (en 1864) ont été mises à l'Index. Elles ont été rayées de l'Index en 1959.

Les Lettres persanes et L'Esprit des lois sont les deux œuvres de Montesquieu qui se sont retrouvées à l'Index. 

On observe ici une double trace du passage de cet ouvrage dans l'enfer de la bibliothèque : la mention "index" et la précision "oeuvre inscrite au catalogue de l'index".

La cote débutant par "E", pour les ouvrages plus anciens, indique vraisemblablement un classement dans l'enfer de la bibliothèque.

L'œuvre complète de Balzac a été placée à l'Index.

L'œuvre complète de Stendhal a été mise à l'Index.

La cote débutant par "E", pour les ouvrages plus anciens, indique vraisemblablement un classement dans l'enfer de la bibliothèque.

L'Encyclopédie et Jacques le fataliste et son maître sont les deux œuvres de Diderot qui ont été mises à l'Index.

Pour Victor Hugo, seules les œuvres Notre-Dame de Paris (en 1834) et Les Misérables (en 1864) ont été mises à l'Index. Elles ont été rayées de l'Index en 1959. 

La décision de mettre Les Quatre Vents de l'esprit à l'enfer a été le choix des responsables de la bibliothèque du Collège. 

Pour Victor Hugo, seules les œuvres Notre-Dame de Paris (en 1834) et Les Misérables (en 1864) ont été mises à l'Index. Elles ont été rayées de l'Index en 1959. 

La décision de mettre Clair de lune à l'enfer a donc été, ici aussi, prise par les responsables de la bibliothèque du Collège.

L'œuvre complète de Stendhal a été condamnée à l'Index.

La cote débutant par "E", pour les ouvrages plus anciens, indique vraisemblablement un classement dans l'enfer de la bibliothèque.

C'est l'ensemble de l'oeuvre de Zola qui a été condamnée à l'Index.

C'est toute l'oeuvre Maupassant qui a été mise à l'Index.

C'est l'entièreté de l'oeuvre d'Anatole France qui a été placée à l'Index.

Trois idées politiques est l'une des sept oeuvres de Charles Maurras qui se retrouvent à l'Index. 

L'œuvre complète de Montherlant est à l'Index.

Les arts visuels ont aussi fait l'objet censure. Photo tirée du livre Histoire générale de l'art, France, par Louis Hourticq.

La liste des livres

Vous trouverez ici un liste de tous les ouvrages de la bibliothèque comportant encore des traces de leur passage à l'enfer.

La censure au Québec

Bureau de la censure des vues animées de la province de Québec (1913) 

"Le contrôle cinématographique au Québec remonte au 15 avril 1913, avec la création du Bureau de censure des vues animées de la province de Québec.[...] En quelques mois, le Bureau de censure devient un redoutable appareil répressif. Le bilan de sa première année de fonctionnement atteste que le Québec refuse plus de films que l’Angleterre, les États-Unis et le reste du Canada réunis. Cette tendance perdure jusqu’au début des années 60.

Tout en étant un appareil de l’État, le Bureau de censure subit le joug de l’Église et des groupes de pression qui appartiennent à son aile radicale. Cette situation du censeur censuré explique sans doute le grand nombre de films refusés au Québec : plus de 7 000 au XXe siècle.

La décennie de 1960 représente pour le Québec un prodigieux saut en avant. L’évolution des mœurs, des valeurs sociales et des mentalités se traduit par une prise de conscience qui transformera le peuple québécois : c’est la Révolution tranquille" (Régie du cinéma du Québec, 2010).

Les Demi-civilisés (1934) : L'interdiction de ce roman est considérée comme le dernier cas de censure du clergé catholique. Le roman de Jean-Charles Harvey, celui-ci alors rédacteur en chef du Soleil, est frappé d'une interdiction par le cardinal Villeneuve.

Si cette déclaration n'a pas de portée légale, elle a de lourdes conséquences pour l'auteur : Harvey, à la demande de la direction du journal et du premier ministre du Québec Louis-Alexandre Taschereau, doit démissionner (Hébert, Lever et Landry, 2006).

Nègres blancs d'Amérique (1968-1973) : Le 31 octobre 1969, le ministre de la Justice Rémi Paul ordonne une perquisition au bureau de Gérald Godin, éditeur de la maison Parti pris. "La justice en a précisément contre Nègres blancs d'Amérique, dont le sous-titre est Autobiographie précoce d'un "terroriste" québécois. Le 1er novembre, Le Devoir apprend que cette saisie vise non seulement le bureau de l'éditeur, mais également toutes les étapes de production de l'ouvrage, de l'auteur jusqu'au libraire" (Vincent, 2006). Des accusations de sédition sont portées contre Godin et Vallières. "[...] Il ne s'agit plus, comme dans le cas de la publication d'une oeuvre obscène, d'une amende. Gérald Godin et Pierre Vallières s'exposent à une peine de prison de 14 ans" (Vincent, 2006). Cependant, la sédition est une accusation difficile à prouver, si bien qu'en février 1970, les accusations sont rejetées. 

Le Cassé et l'affaire des textes (1971 et 1982) : Le Cassé est une longue nouvelle de Jacques Renaud, publiée en 1964 et retirée des lectures d'un cours de littérature au Cégep de Sorel-Tracy en 1971 ainsi qu'au Cégep de Shawinigan en 1982, à la suite de pressions de parents. En 1971, le curé de la paroisse de Sorel qualifie l'ouvrage de ""livre pornographique, obscène et blasphématoire" qu'on devrait "interdire dans les écoles"" (Vincent, 2006). Un arbitrage donne cependant raison à l'enseignant en 1972 .

À Shawinigan, en 1982, "l'affaire des textes" inclut encore Le Cassé, mais aussi des nouvelles tirées de L'Oeuvre de chair d'Yves Thériault. Toujours à la demande des parents, les lectures sont retirées du corpus et l'enseignant est suspendu pendant six mois.  

Noir Canada (2008) : 

L'essai Noir Canada : Pillage, corruption et criminalité en Afrique, publié en 2008 par Alain Deneault en collaboration avec Delphine Abadie et William Sacher, fait état d’allégations troublantes à partir de très nombreuses sources publiques (rapports de l'ONU, dépositions faites auprès d'assemblées législatives, rapports d'ONG , livres, documentaires, etc.) au sujet des agissements de compagnies minières canadiennes à l’étranger. Dès sa publication, l'ouvrage fait l'objet de poursuites en diffamation intentées par les deux sociétés minières impliquées, qui réclament 11 000 000 $ d'indemnités.

Au bout de trois ans de procédure, les auteurs et les éditions& Écosociété parviennent à un règlement hors cours avec la société minière Barrick Gold. L’ouvrage est retiré de la circulation. Dans la déclaration publique accompagnant le règlement hors cour, Barrick Gold déclare avoir présenté des documents « indiquant qu’elle n’avait pas été impliquée dans les conflits au Congo » bien qu'elle ait acquis une concession d'exploration de 82 000 km2 auprès des régimes de Joseph Mobutu puis de Laurent-Désiré Kabila.

Comme ils l'ont fait dans l'introduction du livre, l'auteur et les chercheurs de Noir Canada ont réitéré la nécessité d'en appeler à la création, au Canada, d’une commission indépendante enquêtant sur la présence controversée d’intérêts miniers canadiens à l’étranger.

L'affaire a toutefois secoué le public québécois et est à l'origine du Projet de loi 9: Loi modifiant le code de procédure civile pour prévenir l'utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d'expression et la participation des citoyens au débat public (Wikipédia, 2020).

Quelques exemples de censure de livres dans le monde

« Là où on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes. »

— Heinrich Heine

 

"À l'origine, un autodafé (mot portugais « auto da fé » venant du latin « actus fidei », c'est-à-dire « acte de foi ») est la cérémonie de pénitence publique organisée par le tribunal de l'Inquisition espagnole ou portugaise, durant laquelle celle-ci proclamait ses jugements.

 
Dans le langage populaire, ce terme est devenu presque synonyme d'une exécution publique de personnes jugées hérétiques, par le feu. [...]. 

 

Par extension, l'autodafé désigne l'« action de détruire par le feu ». Ainsi, le concept d'autodafé est couramment utilisé pour caractériser la destruction publique de livres ou de manuscrits par le feu.

On nomme autodafé la destruction par le feu de livres ou d'autres écrits. Il s'agit d'un rituel qui se déroule habituellement en public, par lequel on témoigne d'une opposition culturelle, religieuse ou politique vis-à-vis des documents que l'on brûle. On considère donc généralement l'autodafé comme une méthode de censure visant à faire taire des voix considérées comme dissidentes ou hérétiques et qui menacent l'ordre établi."(Wikipédia, 2020)

De nombreux autodafés de livres ont eu lieu au cours de l'histoire : 

  • Durant la Révolution française, on estime que 4 millions de livres ont été détruits en France.
  • Le premier autodafé nazi a eu lieu le 10 mai 1933 à Berlin et a été suivi par d'autres à Brême, à Dresde, à Francfort-sur-le-Main, à Hanovre, à Munich et à Nuremberg. Parmi les auteurs censurés, on retrouve, entre autres, Bertolt Brecht, Sigmund Freud, Heinrich Mann, Karl Marx et Stefan Zweig, tous considérés comme « dégénérés ». 
  • Juin 1981, en marge de la guerre civile du Sri Lanka, une foule de citoyens d'ethnie cingalaise ont brûlé la bibliothèque de Jaffna, contenant approximativement 97000 manuscrits et livres.
  • 1998-2001 : Les talibans détruisirent les 55 000 livres rares de la plus vieille fondation afghane, ainsi que celles de plusieurs autres ;bibliothèques publiques et privées.
  • 1999 : autodafé des ouvrages du Falun Gong lors de la violente répression de ce mouvement spirituel par l'État-parti chinois.
  • 2007 : autodafé de CD, de cassettes et de magnétoscopes à la Mosquée rouge.
  • 11 septembre 2010 : Terry Jones, pasteur évangéliste du Dove World Outreach Center, une petite église fondamentaliste de Floride, appelle à l'autodafé du Coran. Finalement, devant la réprobation publique, il y renonce en déclarant le 11 septembre 2010 : « je ne brûlerai pas le Coran, ni aujourd'hui ni jamais. » Cependant, il passe à l'acte en détruisant un exemplaire le 20 mars 2011.
  • Janvier 2013 : Des manuscrits de l'Institut Ahmed-Baba de Tombouctou (Mali), sont détruits par des milices islamistes. Cependant, une bonne partie des manuscrits précieux ont été mis à l'abri avant l'entrée des milices dans la ville.
  • Janvier 2015 : L'organisation djihadiste État Islamique brûle 2 000 livres à Mossoul, en Irak.
  • Le 31 mars 2019 : Des prêtres catholiques de la ville de Koszalin, en Pologne, brûlent en public des livres des sagas Harry Potter et Fascination (Twilight), qu'ils jugent sacrilèges. (Wikipédia, 2020)

 

La censure dans les bibliothèques américainesImage result for George by Alex Gino

Aux États-Unis, l'American Library Association (ALA) compile, chaque année, la liste des livres qui ont suscité le plus de tentatives de censure ("challenged books").

Le livre qui a fait l'objet du plus grand nombre de plaintes en 2018? George, d'Alex Gino, un livre pour enfants qui traite de l'identité de genre.

Les classiques de la littérature américaine ne sont pas non plus épargnés. L'ALA compile aussi une liste des ouvrages qui sont fréquemment bannis, malgré leur statut d'incontournable. En voici quelques exemples : 

  • Des souris et des hommes, de John Steinbeck. Les dernières tentatives recensées ont été faites en 2007 au Kansas et en Iowa. 
  • L'Attrape-cœurs, de J. D. Salinger. La dernière tentative a eu lieu au Montana en 2009.
  • Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, de Harper Lee. La dernière tentative d'interdiction a eu lieu en 2009 au Canada.
  • La Couleur pourpre, d'Alice Walker. La dernière tentative a eu lieu en 2008 en Caroline du Nord. 
  • Beloved, de Toni Morrisson. La dernière tentative recensée, en 2007 dans l'État du Kentucky, a conduit la direction d'une l'école secondaire de Louisville à interdire le livre. 

Les Versets sataniques est un roman de l'écrivain britannique d'origine indienne Salman Rushdie. C'est probablement l'un des plus frappants exemples de censure moderne de la littérature.

Peu de temps après sa publication en 1988, l'ayatollah Khomeini a déclaré une fatwa contre l'auteur, qui en appelle à l'assassinat de Rushdie (ALA, 2020).

"À la suite de cette déclaration, une récompense est offerte pour la mort de Rushdie, qui est contraint de vivre dès lors sous protection. [...] Le 24 février 1989, cinq personnes sont tuées par la police lors d'une manifestation devant le consulat britannique à Bombay. Plusieurs autres personnes sont mortes en Égypte et ailleurs. Des communautés musulmanes organisent des autodafés publics. Des violences sont commises à travers le monde :

  • Attentats contre des librairies à l’université de Californie à Berkeley qui proposait le roman et contre les bureaux de Riverdale Press, un hebdomadaire du Bronx, en réponse à un éditorial qui défendait le droit de lire le livre.
  • Le 11 juillet 1991, le traducteur japonais de Rushdie Hitoshi Igarashi est poignardé à mort à l'université de Tsukuba, où il enseignait ; son traducteur italien, Ettore Capriolo, a été poignardé à Milan quelques jours plus tôt.
  • En octobre 1992, il fait sa première apparition publique depuis la fatwa lancée contre lui, à Helsinki, dans le cadre de l’assemblée annuelle du Conseil nordique, au côté de Bernard-Henri Lévy, qui lui cédera son temps de parole.
  • En 1993, à Oslo, l'éditeur norvégien de Rushdie, William Nygaard, survit de justesse à plusieurs coups de feu.
  • Le 2 juillet 1993, trente-sept personnes sont tuées lorsque leur hôtel à Sivas en Turquie est incendié par des manifestants contre Aziz Nesin, le traducteur turc de Rushdie.
  • Deux ecclésiastiques, saoudien et tunisien, qui avaient dénoncé la fatwa sont abattus à Bruxelles."

 (Wikipédia, 2020)

Qu'en ont-ils pensé?

Ce qu'en ont dit les écrivains.


Dans Un ange cornu avec des ailes de tôle, Michel Tremblay nous fait part de souvenirs de lecture de jeunesse. Voici ce qu'il raconte au sujet de Notre-Dame de Paris, qui a figuré à l'Index de 1864 à 1959 :

"[L'enseignant de français, un religieux] : Ça vous fait rire, l'index? Hein? En lisez-vous? Lisez-vous des livres à l'index, oui ou non?"

Je répondis sans réfléchir : 

"J'ai lu Notre-Dame de Paris sans savoir que c'était à l'index..."

Des murmures choqués, le frère qui se raidit. Je me dis : ça y est, je viens de signer ma propre condamnation, maudit niaiseux! Il s'approcha de moi, plus rouge que je ne l'avais été une minute plus tôt. une baguette à la main, prêt à frapper.

"Vous avez lu Notre-Dame de Paris!Description de cette image, également commentée ci-après

- Ben oui

- Au complet?

- Ben oui. 

- Vous en êtes vous confessé?

- J'viens de vous dire que je ne savais pas que c'était à l'index...

- Taisez-vous! Baissez les yeux! Faites un acte de contrition!

- J'peux pas faire un acte de contrition après m'être rendu compte que ce livre-là est à l'index, frère, j'ai pas commis de péché!

- Faites pas la tête forte! Vous allez tout de suite vous rendre au bureau du directeur, vous allez lui demander une permission spéciale pour aller vous confesser immédiatement! Vous lui direz que c'est d'une extrême importance!

- Y va penser que j'ai tué quelqu'un!

- J'vous ai dit de vous taire!'

Il se tourna vers les autres.

"Vous voyez ce que ça donne de lire Victor Hugo! Ça rend arrogant!"

Michel Tremblay (Un ange cornu avec des ailes de tôle)

 

Ce fameux index, qui fait encore un peu de bruit de ce côté-ci des Alpes, n’en fait aucun à Rome : pour quelques [sous] on obtient la permission de lire, en sûreté de conscience, l’ouvrage défendu. L’index est au nombre de ces usages qui restent comme des témoins des anciens temps au milieu des temps nouveaux.

Chateaubriand (Mémoires d'outre-tombe)

 

Emile Zola 1902.jpg

Mais quelle extraordinaire et lamentable bastille du passé, que cet Index vieilli, caduc, tombé en enfance! On sentait la  formidable puissance qu’il avait dû être autrefois, lorsque les livres étaient rares et que l’Église avait des tribunaux de sang et de feu pour faire exécuter ses arrêts.

[L'Église] s’entête pourtant à conserver l’apparence de sa souveraine autorité sur les intelligences, telle qu’une reine très ancienne, dépossédée de ses États, désormais sans juges ni bourreaux, qui continuerait à rendre de vaines sentences, acceptées par une minorité infime.

Zola (Rome)

Bibliographie et sources des images

Amadieu, Jean-Baptiste. Baudelaire examiné par le Saint-Office (1917-1927). L'année Baudelaire, Éditions Honoré Champion, 2018, Hommage à Claude Pichois, pp.13-18.

Amadieu, Jean-Baptiste. « La littérature française censurée par le Saint-Siège, depuis la Restauration jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale ». In Les Censures dans le monde. XIXe – XXIe siècle, édité par Laurent Martin, 17‑30. Histoire. Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2016.

Amadieu, Jean-Baptiste. « Nos censures au miroir de l’Index librorum prohibitorum ». Raisons politiques 63, nᵒ 3 (2016): 67. https://doi.org/10.3917/rai.063.0067.

Autodafé. (s.d.). Dans Wikipédia. Consulté le 19 mars 2020.

ALA office for intellectual freedom. (2020). http://www.ala.org/advocacy/bbooks/frequentlychallengedbooks

Boisvert, Nicole M, et Telesforo Tajuelo. La saga des interdits: la censure cinématographique au Québec. Outremont, Québec: Libre expression, 2006.

Bujanda, Jesús Martínez de, Marcella Richter, et Université de Sherbrooke, éd. Index des livres interdits. 11: Index librorum prohibitorum: 1600 - 1966. Montréal: Médiaspaul [u.a.], 2002.

Hébert, Pierre, Kenneth Landry, et Yves Lever, éd. Dictionnaire de la censure au Québec: littérature et cinéma. Saint-Laurent, Québec: Fides, 2006.

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Crédit images

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Réalisation de ce biblioguide

Sarah-Maude Tanguay, stagiaire à la bibliothèque du cours collégial, 2020.